Entretien avec Seob Kim Boninsegni.

 

 

Seob Kim Boninsegni est artiste plasticien, dramaturge, producteur, scénariste et réalisateur.

En novembre 2015, lors du GIFF – Geneva International Film Festival, il présentait son premier long-métrage de fiction « Occupy the Pool » produit par Offshore. Un film, entre fiction, documentaire, performance et vidéo d’art, qui suit les déambulations d’un groupe de jeunes gens et étudiants de la HEAD – Haute Ecole d’art et de design de Genève, dont la seule préoccupation consiste à faire la fête ou plutôt à se réunir pour palabrer, danser et consommer à la chaîne bières et cigarettes. De soirée en soirée, vont se créer des liens qui conduiront les principaux protagonistes du film à une ultime fête dans une piscine jusqu’au lever du jour.

 

 

Occupy the Pool : Un film genevois sur la jeunesse désenchantée

 

 

« Il n’y a pas vraiment d’histoire », prévient Seob Kim Boninsegni peu de temps avant la projection, conscient d’avoir réalisé un objet cinématographique « presque sans scénario », se situant dans la lignée de Gummo de Harmony Korine ou de Mercuriales de Virgil Vernier, à la marge de la marge, donc, des productions dites de films d’auteur. Or, à la découverte de Occupy the Pool, apparaît pourtant une ligne narrative cohérente. Est-ce que ce jeune homme trouvera l’espace de liberté qu’il cherche ? Est-ce que cette jeune femme obtiendra la reconnaissance qu’elle attend ? Assez vite, le spectateur se surprend à s’attacher à tel ou tel personnage et à comprendre ce que sous-tend son comportement.

Sans pour autant être un manifeste, le film transmet une idée profondément politique. A commencer par son titre qui renvoie bien sûr, non sans ironie, à Occupy Wall Street, mouvement contestataire dénonçant les abus du capitalisme financier, qui a vu se réunir des milliers de personnes dans les rues de New York en septembre 2011 et qui apparait aujourd’hui comme un effet de mode dérisoire. Les jeunes de Occupy the Pool semblent quant à eux, n’avoir jamais envisagé la révolte. Au contraire, ils s’adonnent presque sans limite à la consommation, à la défonce, et font la fête. Paradoxalement, ceci est justement l’occasion unique qu’ils se donnent pour se rapprocher les uns des autres en toute liberté, pour s’inventer un récit collectif qui fasse sens et créer une cohésion de groupe, autrement absente de l’espace social. C’est pour s’exprimer sur ce sujet passionnant et pour revenir sur son expérience en tant que réalisateur que Seob Kim Boninsegni a accordé cet entretien.

L’évidence du cinéma.

Seob Kim Boninsegni est d’abord connu pour ses travaux et ses interventions dans le milieu de l’art contemporain. Son attrait pour le cinéma découle naturellement de son parcours d’étudiant, nous explique-t-il: « Je ne sais pas, je ne pose pas vraiment cette question car pour moi faire du cinéma est une chose naturelle. Mais peut-être est-ce lié à mon parcours d’étudiant. Je suis rentré en section cinéma à la HEAD (Haute Ecole d’art et de design de Genève), qui était à l’époque différente de ce qu’elle est aujourd’hui. Il y avait d’autres types de références et d’autres types d’artistes. J’ai eu la chance de rencontrer Apichatpong Weerasethakul (réalisateur thaïlandais, Palme d’Or au Festival de Cannes en 2010) à Paris, mais surtout d’avoir Dominique Gonzalez-Foerster (artiste et réalisatrice française de renommée internationale) comme professeure. Pour moi, l’apprentissage du cinéma vient de là. »

Les revenus engendrés par certains films ou séries grand public produits en Inde ou aux États-Unis font rêver. Or, la plupart des réalisateurs européens et notamment suisses ne vivent que rarement de leur travail en raison d’un marché du film restreint et sans grande possibilité d’ouverture sur l’étranger. Lorsque nous lui demandons comment il gagne sa vie, Seob Kim répond qu’il n’en parle pas souvent car à son niveau, il ne peut encore prétendre obtenir 10 ou 20 % d’une subvention pour se salarier, qu’il s’agisse de mise en scène de théâtre ou de cinéma. Toutefois, ses multiples autres casquettes lui permettent de tirer son épingle du jeu : « J’ai un pied dans l’écriture, dans l’art contemporain, dans le théâtre et dans le cinéma. Je vis également de quelques ventes ou expositions, et de l’enseignement, même si l’enseignement prend beaucoup de temps. »

L’utopie du vivre-ensemble.

Occupy the Pool suit un groupe de jeunes animés par une forme d’utopie très contemporaine du vivre-ensemble. « L’utopie fait partie de l’univers des interprètes de cette génération », souligne Seob Kim Boninsegni. « C’est un film qui a une double lecture. Il est d’abord fait pour des non-Genevois, mais une lecture différente est possible évidemment pour les Genevois. C’est une lecture pour ainsi dire familiale. Les lieux du film pour la plupart des squats ont été ouverts par des amis ou par les parents de ces derniers. La question que pose ce film serait plutôt : Quelle place laisse-t-on maintenant à cette génération ? On leur en laisse très peu. Les jeunes doivent se caser dans les brèches ». La sensation de claustrophobie et de manque de place dans le film est effectivement perceptible, ce que Seob Kim Boninsegni confirme : « Mais ils vivent réellement comme ça ! Et c’est ce qui fait la distinction avec la génération précédente. »

Cette jeunesse désenchantée finit par trouver un havre de paix dans une piscine avec vue, symbole par excellence de l’embourgeoisement de la génération précédente, imprégnée par une société de divertissement. Cependant pour le réalisateur, « l’idée était d’abord de filmer un naufrage devant une maison, un naufrage familial. ». Il y a échec, mais aussi tentative de créer du neuf et bien à soi. « J’ai pu remarquer des jeunes occupant des squats, qui se mettaient à les nettoyer après, ce que j’ai trouvé assez drôle. Pour moi, il s’agit d’attirer l’attention des générations précédentes qui ne leur en donnent pas. Je pense que ces jeunes se placent dans une sorte d’économie de l’attention, ils cherchent à se faire remarquer, alors que la génération d’avant se préoccupait d’abord d’économie matérielle. Les jeunes d’aujourd’hui sont plus dans le virtuel, ils sont déjà dans autre chose. Le film montre ce mode de vie, mais aussi le fait que les jeunes sont très peu considérés par les prédécesseurs. Je pense qu’il y a un décrochement réellement plus marqué avec cette génération-ci. Parce que je me sens proche d’eux, cela se reflète aussi dans ma façon de faire du cinéma. La plupart des productions sont tournées vers l’arrière et l’ancien, le matériel justement. Je tends pour ma part vers quelque chose de beaucoup plus organique. »¶

 

 

Cet entretien a été réalisé le 11 novembre 2015 par Delphine Luchetta à la Salle communale de Plainpalais à Genève pour Geneva Business News.