Entretien avec Vincent Cassel et François Bercovici.

 

 

En septembre 1997, Vincent Cassel était l’invité du GIFF – Geneva International Film Festival pour présenter son premier film en tant que réalisateur « Shabbat Night Fever », un court-métrage de fiction produit par Lazennec racontant les hésitations de trois voyous sur le point d’agresser un rabbin en pleine rue. Parce qu’il craignait que l’on aborde le sujet de sa vie privée, l’acteur s’est d’abord montré assez réticent à réaliser cet entretien puis s’est finalement laissé convaincre de discuter de son travail de mise en scène. Contre toute attente, l’ambiance s’est non seulement détendue mais l’humour était aussi rendez-vous, tandis que Vincent Cassel et son ami de longue date, François Bercovici, interprète principal de son film, ont leur expérience commune.

 

 

À propos du court-métrage « Shabbat Night Fever »

 

 

François Bercovici – Les présentations ? Je suis comédien…

Vincent Cassel – Ne fais pas le modeste, s’il te plaît… François !

François Bercovici – OK, je ne fais pas le modeste… Je suis comédien et j’ai rencontré Vincent au cours de théâtre, il y a bien dix ans. J’ai connu la Suisse en faisant de la musique, parce que je chantais dans un groupe qui s’appelle Malka Family (groupe de funk français fondé en 1988, qui a fait plusieurs dates en Suisse et notamment à Genève en 1992). J’ai arrêté il y a trois ans. Depuis, Vincent a fait appel à moi pour jouer dans « Shabbat Night Fever ».

Vincent Cassel – Quand j’habitais à Belleville, je trainais entre autre avec deux personnes. C’était François et un ami en commun qui est devenu très religieux entre temps. Il ne restait alors plus que François. Lui était inquiet quant au sujet. Du coup je me suis dit que j’allais ou le faire moi ou alors le proposer à Mathieu Kassovitz. Mais ce que je voulais, à la base, c’était que ce soit lui qui le fasse.

François Bercovici – C’est vrai que j’étais inquiet. Mais en fait, en voyant le film, tel qu’il est actuellement, je suis même content d’y avoir participé. On en avait du reste beaucoup parlé avec Vincent. (Il se tourne vers Vincent Cassel.) Je me souviens avoir passé une après-midi chez toi…

Vincent Cassel – …parce que lui pensait que je l’avais pris à cause de son nez !

François Bercovici – Exactement ! (Fou rire général) Ben oui, mais pourquoi pas ! (Il se reprend.) Et puis, ça évoquait des choses liées à mon éducation, ma famille. C’est un sujet sensible. A la lecture du scénario, j’ai senti un côté très dur, très froid. Je comprenais pas trop le comment du pourquoi. J’avais besoin qu’on en parle ensemble pour étayer les choses. En plus, c’était ma première expérience en tant que comédien dans des conditions aussi carrées.

Vincent Cassel – Après on continue, on va faire la suite : un moyen-métrage un peu comme les comédies italiennes des années 60 avec un thème unique dans lesquels il y a plusieurs petits films. Je garde le même milieu, les mêmes personnages qui seront en prise avec plusieurs bandes. Ca s’appellera « Le boulevard du crime ». J’adore ce quartier de là-bas, Belleville. J’aime bien l’idée qu’il devienne un truc… un peu…

François Bercovici – …un peu plus personnel…

Vincent Cassel – Ce coin de rue qu’on voit dans « Shabbat Night Fever », je rêvais de le filmer depuis très longtemps. J’essayais toujours de le refourguer dans les films dans lesquels je travaillais. Je pensais aussi à ces deux films de Marcel Carné, comment déjà ?… (« Hotel du Nord » ? « Jenny » ? La rédaction cherche encore…) Je pensais surtout à de vieux films français mais je ne voulais pas tourner en noir et blanc, ça aurait été vraiment « too much ». Je voulais donner un ton bichrome. Jouer sur la couleur jaune avec des dominantes de rouge, en rappelant le principe du noir et blanc.

François Bercovici – En gros, il y a la confrontation entre ce vieux rabbin et Michel, « ce que tu es devenu » contre « ce que tu as été ». Le personnage que j’interprète dans le film est face à un choix intérieur. D’un côté, un chemin moral et religieux, de l’autre, la rue et la démerde. Il y a soudain un balancement dans sa tête, une hésitation. Il se prend la foi en pleine face mais il n’arrive pas du tout à se situer là-dedans.

Vincent Cassel – Le type fait tout pour ne pas être religieux. Il fait tellement d’efforts pour ne pas l’être, qu’il l’est finalement plus que n’importe quoi. Si tu connais un peu la religion juive, telle qu’elle est pratiquée, il y a des choses qui ne sont pas permises. Je me rappelle de mecs qui devaient se plier à des règles, les repas en famille, etc… Je me souviens de l’un d’entre eux, tatoué, très provocateur, qui ne trainait qu’avec des Blacks. Tout ça lui était pourtant interdit. Ca me fait marrer de voir ces mecs tellement en lutte avec ce qu’ils sont. Même si c’est un peu pompeux de parler comme ça pour un court-métrage, l’idée du film était que, dans le fait de vouloir flinguer un rabbin, se cache toute une culpabilité. En croyant se libérer, le type devient encore plus coupable au point d’en crever.

François Bercovici – Croire en Dieu ? Oui, du moins pas selon sa représentation un peu galvaudée. Je ne suis pas dogmatique en tous cas.

Vincent Cassel – Incroyable comme ça part dans un truc cet entretien ! (Il rit.) Croire en Dieu, je ne sais pas. Je crois, tout court. La foi, tu la places là où tu peux, là où tu veux. A partir du moment que tu crois aux choses, elles finissent bien par exister.¶

 

 

Cet entretien a été réalisé le 18 septembre 1997 par Delphine Luchetta à la Maison des Arts du Grütli à Genève et a été publié dans le numéro 34 de l’agenda culturel genevois La Clef.