Entretien avec Philippe Harel.

 

 

Philippe Harel est acteur, scénariste et réalisateur.

Après le succès d’un de ses premiers longs métrages, « Les Randonneurs », il revient avec « La femme défendue », une comédie dramatique plus intimiste avec Isabelle Carré, produit par Lazennec et présenté au GIFF – Geneva International Film Festival en septembre 1997.

 

 

À propos du film « La femme défendue », première partie

 

 

Anatomie d’une relation.

François, le personnage masculin, est un homme marié avec enfant, installé dans la vie, qui visiblement s’ennuie un petit peu. Peut-être cherche-t-il une aventure à ce moment-là ? Il s’exprime à travers des signes : sa belle voiture, ses cartes de crédit, ses costumes. Il a besoin de ça pour compenser je ne sais pas quoi. Dans la vie, je n’utilise pas ces signes, j’ai besoin d’autre chose. Malgré tout, je vis l’intimité comme lui. Si on nous met tous les deux « nus », finalement, ce sont les mêmes sentiments. Muriel est une petite secrétaire dans une agence de voyage, qui au moment où commence le film, se trouve dans une situation un peu plus confortable que lui, parce que effectivement, elle est disponible. Elle est en attente de quelque chose, d’une relation, d’un amour. Ce qu’ils vivent n’est pas exceptionnel mais c’est unique. C’est leur histoire, elle n’arrive qu’à eux mais elle est aussi exemplaire. Tout le monde a l’impression, à mon avis, d’avoir vécu une histoire similaire, sans être forcément adultère. On vit à une époque où les gens ont du mal à s’engager. Lui ne s’engage pas. Elle essaie d’attiser sa jalousie pour finalement parvenir à devenir plus présente dans sa vie. Par son manque d’engagement, François craint aussi une certaine banalité, ce qui fait qu’il ne veut pas quitter femme et enfant.

Conquête, territoire et femme défendue.

Le titre veut à la fois dire fruit défendu et femme qui se défend. Au départ, elle ne veut pas vivre cette histoire, parce qu’elle sait qu’elle n’a rien à attendre de cette relation. Mais il exprime tellement son désir, qu’elle finit par succomber. Face à un désir si fort, c’est difficile d’être indifférent. Il y a des histoires d’amour qu’on vit uniquement parce que c’est le désir de l’autre qui les suscite. Il déploie une stratégie amoureuse pour la conquérir. Elle se défend comme une place. C’est vraiment un combat amoureux.

Ecriture du scénario.

Le fait de ne pas l’avoir écrit, m’a aidé à aller plus loin. C’était un texte dialogué, celui de Eric Assous (scénariste et dialoguiste français, également metteur en scène de théâtre) avant d’être un scénario : un deux-voix avec « elle » et « moi ». J’ai écrit tous les micros-événements qui ont lieu. Il n’y avait pas de didascalies (indications de jeu spécifiées dans le scénario à l’intention des interprètes). Je me suis rendu compte de quelque chose qui me crevait les yeux depuis le début : cette histoire était racontée du point de vue du personnage masculin principal. L’équivalent, c’était la caméra subjective (procédé cinématographique où ce qui est montré par la caméra est le point de vue d’un personnage). C’est moi le cinéaste qui ai décidé d’utiliser l’acteur que je suis pour arriver à une cohérence. S’il y avait eu un intermédiaire supplémentaire entre la comédienne, Muriel, et le personnage.

Caméra subjective.

Le procédé subjectif nous empêchait tout contact physique. Vous filmez un rapport amoureux au moment de l’acte, je ne sais pas, ça aurait paru ridicule. L’épure de leur relation, c’est ce qu’il se passe avant, c’est ce qu’il se passe après, c’est le désir qu’on filme… ce qu’on croit connaître ou capture. Finalement, on fonctionne soit par le désir ou par l’anticipation, soit par le souvenir de ce qui vient de ce qui s’est passé. Si je devais rendre compte de notre conversation… (Il désigne quelqu’un assis plus loin, seul sur un canapé.)… là, il y a un monsieur assis, ça a plus ou moins d’importance. L’oeil est là pour capter les images, le cerveau pour les trier. Pendant que l’on se parle en ce moment, dans le présent, fraction de seconde après fraction de seconde, on est déjà dans le souvenir. Au départ dans « La femme défendue », quand il la désire, il y a très peu de ces regards sur le côté. Quand leur rapport se dégrade, il commence à regarder ailleurs. C’est une fuite du regard, c’est un désintérêt. D’un seul coup, le monde extérieur reprend le dessus.

Une expérience cinématographique.

Je ne sais si je vais me spécialiser dans ce type d’expérience. Je ne pense pas qu’elle puisse être renouvelée. Chaque film est l’aboutissement d’une réflexion et du capital d’expérience qu’on a accumulé. Si j’avais écrit et mis en scène ce film comme ça, par moi-même, ça aurait paru d’un égocentrisme clinique (Il rit.). Je ne sais pas, peut-être aviez-vous imaginé un mec torturé ? En plus, je ne suis pas militant de mon courant de pensée. La plupart du temps dans le cinéma d’auteur, les réalisateurs prennent un comédien, un alter ego. Moi non, ça ne m’intéressait justement de prendre l’esthétique de quelqu’un d’autre. Comme ça, il n’a pas de circonstances atténuantes pour moi. Pas de complaisance avec les personnages.¶

 

 

Cet entretien a été réalisé le 18 septembre 1997 par Alexandre Efrati et Delphine Luchetta à l’Hôtel du Rhône à Genève et a été publié dans le numéro 31 de l’agenda culturel La Clef.